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vendredi 29 juin 2012

Elinor Ostrom : La question des « biens communs mondiaux »


Elinor Ostrom, première femme ayant obtenu le prix "Nobel" d'économie en 2009, est morte mardi 12 juin 2012 à 78 ans. Elle était aussi une des rares "Nobel" critiques à l'égard de la théorie néoclassique. Dans la foulée de la déconfiture de Rio+20 il nous a semblé important de rappeler ses travaux.

Les travaux de E. Ostrom sur les  “biens communs mondiaux” dans un courant néo-institutionnaliste opposé à la théorie économique néo-classique qui ont remis en lumière la préoccupation de dessiner un cadre conceptuel capable de fournir des clés politiques pour une gestion de ce qui échappe - ou doit échapper - au marché.
Un texte de Jean-Marie Harribey,  ainsi que  le texte du discours lors de la remise du Nobel par Elinor Ostrom.


Dans sa démarche néo-institutionnaliste, l'intérêt est tout de même de désigner par "communs" des systèmes de règles collectives et non plus seulement les objets sur lesquels portent ces règles, ni dans leurs supposées qualités intrinsèques, ni dans leurs qualités construites par la société.
Mais la faille de la thèse d'Ostrom est de rester prisonnière de la croyance que les systèmes de règles sont le produit de délibérations entre des acteurs à égalité à l'intérieur d'une communauté. Finalement, le dilemme n'est pas surmonté entre, d'un côté, les droits de propriété individuels à la John Locke, qui fait découler l'Etat du libre consentement des individus à parachever le contrat social qu'ils ont noué, et de l'autre, la remise d'une part de liberté pour plus de sécurité entre les mains du Léviathan à la Thomas Hobbes.
Rousseau n'était peut-être pas le moins perspicace d'avoir situé le fondement du politique dans la souveraineté du peuple. D'où la prudence dont nous devrions faire preuve dans l'usage de l'antilibéralisme, car nous ne dirons jamais assez qu'il s'adresse moins à la philosophie politique libérale qu'à la doctrine économique.
Ce qui renvoie au fait que le capitalisme, dont le principe est d'élargir toujours la frontière de la propriété privée, ne doit pas être confondu avec le marché, et aussi au fait qu'un après-capitalisme ne supprimera pas le marché en tant qu'une des formes de coordination, forme bornée collectivement bien sûr. En tant que systèmes de règles, le marché et la planification démocratique pourraient alors être considérés comme des… biens collectifs publics. Mais c'est une autre histoire…



Le bien commun est une construction sociale. Apports et limites d'Elinor Ostrom

Jean-Marie Harribey, économiste, maître de conférences à l'université Montesquieu-Bordeaux IV L'Economie politique n° 049 - janvier 2011

Dans les débats préparatoires au « Sommet de la terre » (Rio, 1992), la polémique Ostrom / Harding devint un « standard » de débat écologique. Les « biens communs mondiaux » (Global Commons) désignent alors : l’atmosphère et la biodiversité. Depuis, ils se sont multipliés. L’éducation, l’eau, Internet et les algorithmes mathématiques ou informatiques, les connaissances médicamenteuses et plus généralement la propriété intellectuelle : partout aujourd’hui le débat fait rage entre « l’enclosure » par la propriété privée ou la gestion communautaire des biens communs. Avec cette difficulté supplémentaire que la « communauté mondiale »… n’existe pas.
Le simple usage de l’expression Global Commons dans les débats préparatoires à Rio évoque directement les « commons », c’est à dire les terrains communaux du Moyen Age, que les paysans riches ont enclos à leur seul profit. Il est indéniable que la révolution agricole, qui exigeait l’amendement des terres à long terme, fut favorisée par la mise à la disposition à long terme des terres entre les mains d’un même exploitant. Mais quid de la défense du climat ? Dans les conférence préparatoires à Rio, la polémique éclata entre entre le World Resources Institute de Washigton et le Center for Science and Environment de New-Delhi.
Le WRI , reconnaissant le péril de la dérive climatique, proposait d’imposer une décroissance uniforme des émissions de gaz à effet de serre à tous les pays. Cela revenait à officialiser d’abord les « droits acquis à polluer » de chaque pays (et les Etats-Unis polluaient cent fois plus, par habitant, que le Bangladesh), pour astreindre ensuite les « propriétaires » à des mesures de prudence. Ce que j’assimilais alors à « l’enclosure des biens communaux globaux». Le CSE, dans un rapport retentissant d’Anil Agarwel et Sunita Nerain, taxa la position du WRI d’ « éco-impérialisme », et proposa à l’inverse un objectif de répartition égalitaire de quota par tête, les pays en excédant d’émission devant indemniser les pays moins polluant dont ils empiétaient sur les « droits ».
Cette proposition est à l’origine de ce qu’allait finalement formuler le Protocole de Kyoto et le système européen d’allocation et de marché des quotas. On voit que ce mode de régulation, qui combine une instance politique distributrice de quotas, et un marché de redistribution ( à total constant) est beaucoup plus proche des systèmes de gestion semi décentralisés des biens communs dont parle Ostrom. Les écologistes ne s’y trompèrent pas, qui attribuèrent le prix Nobel alternatif à Anil Agarwal, tandis que la vieille gauche productiviste ne voyait là que « vente des droits à polluer » et « marchandisation de la Nature ».
Copenhague va d’abord se jouer sur  la distribution de quotas plus ou moins contraignants, les pays étant d’autant plus contraints à la baisse qu’ils dépassent le « soutenable ». Mais il faudra aussi, au nom de la dette écologique (c’est-à-dire des stocks déjà émis), aider les pays les mois développés industriellement, ceux donc qui ont le moins pollué dans le passé, à s’adapter plus rapidement aux contraintes. Bref, inventer une réciprocité écologique globale. Vaste programme.
Bien entendu, toute bonne idée est faite pour être trahie, et nous ne pouvons que lutter pour qu’elle soit récupérée par les institutions de la manière la plus correcte possible. Encore faut-il bien comprendre de quoi on parle.
« Biens commun globaux ». Trois mots dont chacun  suscite  d’immenses débats.
« Biens » (goods) d’abord ! L’éducation (l’accès au bien commun qu’est le savoir) n’est pas perçue  comme un bien  par la plupart des enfants, ni même par leurs parents ouvriers et paysans pauvres. L’école, c’est d’abord un manque à gagner. Il a fallu payer les parents (par des allocations familiales) pour qu’il consentent à envoyer leurs enfant à l’école… Mais le contenu des connaissance lui-même, la plupart des capitalistes comprennent leur nature de biens et essaient donc d’en faire des biens «  exclusifs », par des brevets, ou par une fixation sur un support payant…
À l’inverse, se déplacer le pus vite possible en voiture fut longtemps perçu comme un bien privé, et il est encore difficile de le faire reconnaître comme un des « maux «  publics. Même les télévisons publiques retransmettent les compétitions de Formule 1, le Paris –Dakar, sans avoir conscience de commettre une apologie de crime contre l’Humanité.
On passe justement de la « mesure » au « sens », du nomos au logos, de l’économie à l’écologie, quand on se demande si ce qu’on appelle bien en est vraiment un…
« Commun ». Le caractère « commun » n’est pas inhérent au « bien », mais un caractère social, historiquement daté et modifiable. Je reconnais qu’un bien techniquement non rival et non-exclusif appelle une gestion comme bien commun. Mais les dominants ne manquent pas d’imagination pour rendre exclusif ce qui ne l’est pas a priori, et faire par exemple de la « terre » (ce fragment d’environnement) une propriété privée : en l’enclosant et en la défendant par des barbelés, un fusil, des lois. On croire, selon une vieille illusion de Marx, que la connaissance collective étant aujourd’hui le principal facteur de production, la passage au communisme est dorénavant inéluctable. Ce fut la thèse de l’école hongroise des années 60 (la « révolution scientifique et technique » de Radovan Richta), c’est aujourd’hui un peu la thèse des tenants du « capitalisme cognitif ». Ce qui est sûr, c’est que la bataille pour l’enclosure de la Propriété Intellectuelle est l’un des enjeux majeurs de ce début du XXIe siècle, dont les batailles sur le brevet logiciel, les DRM ou Hadopis ne sont que des escarmouches.
À noter que l’opposition à l’enclosure des biens communs s’exprime souvent sous la bannière de « droits universel à… » (à l’eau, à la connaissance, etc). Ce à quoi le partisans de Harding répondent évidemment que bien sûr, bien sûr, mais que pour sauvegarder et ne pas gaspiller un bien universel il faut d’abord l’enclore…
« Globaux ». On appelle ainsi (en particulier le pénétrant Olivier Godard) les biens qui, de par leur étendue, ne peuvent être géré par les lois d’un pays ou d’une entité politique constituée (telle l’Union européenne). Ne pas croire que de tels biens (typiquement : les mers) soient des res nullius, des choses n’appartenant à personne. Un droit de la mer international existe depuis Aliénor d’Aquitaine ( Rôles d’Oléron, 1160). Des conventions protégeant les bien communs globaux environnementaux se développent rapidement avec les Accords Internationaux sur l’Environnement (pluies acides, espèces en danger, couche d’ozone, climat, biodiversité), entrant souvent en collision avec les règles de l’OMC, mais pouvant se targuer de l’exemple des règles phytosanitaires (quarantaine) qui prévalent sur celles de l’OMC.
La difficulté, c’est qu’un bien a souvent des dimensions à la fois nationales, infranationales (communautaires) et supranationales (globales). D’où les conflits souvent à contre emploi. Ne dites pas à un sud-américain même de gauche, dans une conférence internationale, que l'accès à l'eau est un droit universel, il comprendra que vous contestez la souveraineté de son pays sur l’Amazone. La biodiversité et surtout, les  connaissances traditionnelles sur son utilité ? nous en sommes redevables aux communautés indigènes ou paysanne pauvres. Mais les Etats les considèrent comme du patrimoine national au même titre que les champs pétrolifères, les firmes pharmaceutiques comme un… bien commun mondial, c’est à dire gratuit !  Nous savons que la maintenance d’un bien commun mérite pourtant rémunération. Comment défendre la gratuité des logiciels et refuser la bio-piraterie ? Vaste sujet de colloque...



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