Un choix politique
Expliquons-nous. Si un pays n’est pas compétitif, il a le choix, dans une perspective de court terme, entre dévaluer sa monnaie, c’est-à-dire baisser la valeur extérieure de sa monnaie, ou pratiquer ce que l’on appelle une dévaluation interne. Cela consiste à baisser la valeur réelle des prix, des salaires, et des actifs. Dans ce cas, la population assiste à une baisse de ses salaires, à une réduction des transferts sociaux, à une précarisation du travail.
Quel rapporte et quelle différence y a-t-il entre dévaluation interne et dévaluation externe ? En réalité, les deux processus sont très différents et c’est par une facilité abusive de langage qu’on emploie le même mot. C’est l’idéologie européenne qui pose comme équivalents deux processus qui ne le sont pas.
La dévaluation interne détruit beaucoup d’entreprises, d’institutions, et ne favorise absolument pas l’innovation et la reconstruction. La dévaluation externe crée un choc positif qui permet de rebondir, le choc de compétitivité stimule les énergies et le moral des agents économiques.
Pour faire passer la pilule des dévaluations internes, il est de coutume et de bonne pratique que la Banque Centrale pratique une politique d’accompagnement laxiste afin de mettre de l’huile dans les rouages. L’ « impairment » du secteur bancaire ‘est çà dire son dysfonctionnement, son incapacité à remplir sa mission font que cet accompagnement monétaire par la Banque Centrale ne peut fonctionner actuellement. On a beau mettre de l’huile, les rouages restent grippés, ce qui renforce les difficultés et donc les souffrances des pays concernés.
Dans une zone comme celle de l’Europe, il n’est pas possible de dissocier les choix économiques des choix politiques.
Les pays du Sud sont engagés dans une dévaluation interne qui est censée les mettre au niveau de l’Allemagne.
Selon le travail accompli depuis le début de la crise, certains ont fait du chemin dans cette voie, d’autres n’en ont pas fait. On peut considérer que l’Espagne, par exemple, a fait du chemin sur la voie de sa dévaluation interne. Peut-être la moitié du chemin. L’Irlande visiblement en a fait encore plus. L’Italie a beaucoup parlé et beaucoup promis, mais elle a fait peu de choses. En pratique, presque tout reste à faire. Le Portugal a fait une partie du chemin, mais le pays s’interroge sur la possibilité et la nécessité de continuer. Pudiquement, nous n’évoquons pas dans cet article le cas de la France. Il suffit de dire qu’en regard du problème qui nous occupe, la compétitivité, la situation française s’est beaucoup détériorée.
Le chemin de la dévaluation interne n’est pas linéaire. Plus on avance sur ce chemin, et plus la pente à gravir est forte. C’est la loi des rendements décroissants des efforts. Quand on arrive vers la fin, le point de compétitivité gagné coûte très, très cher. Il est évident que le coût essentiel apparent, c’est la montée du chômage. Dans beaucoup de pays engagés sur ce chemin, le taux de chômage, en particulier des jeunes, semble avoir atteint des limites acceptables socialement.
Mais il n’y a pas que le coût du chômage, il y a le coût en terme de légitimité et de crédibilité des gouvernants.
Il y a le coût de dislocation politique, contestations de l’organisation, des structures, des rapports entre le Centre et les provinces, etc.
Il y a également le coût en démoralisation du pays, perte de fierté nationale, ressentiment.
Donc, sur le chemin de la dévaluation interne, il y a deux choses à retenir. Premièrement, les premiers pas sont plus faciles que les derniers ; deuxièmement, les coûts sont de plus en plus lourds et dangereux à assumer.
Synthétiquement, on peut dire que le coût européen pour les pays engagés dans la dévaluation interne est constitué par la perte de confiance dans la construction européenne.
A un moment donné, il est évident, et nous y sommes depuis quelques mois, que la question du choix de l’option dévaluation interne se pose.
La restauration de la compétitivité est lente, on ne voit pas les bénéfices des mesures qui sont prises, la croissance s’effondre. On n’en voit pas le bout. L’un des éléments est la complexité du phénomène. On en parle peu car la plupart des gens qui conseillent les gouvernants et l’Europe sont des macro-économistes qui passent à côté de la complexité de la réalité.
Dans la dévaluation interne, ce sont des millions de paramètres qui doivent s’ajuster. Il suffit de songer à ces millions de paramètres que constituent les prix relatifs. Mais le symétrique d’un prix, c’est un revenu. Et derrière les revenus, il y a des gens avec leurs comportements, il y a des structures avec des processus de fonctionnement. L’incapacité des élites à tenir compte de la complexité conduit, comme on le voit en Grèce et en Espagne, au dysfonctionnement et à dislocation même de ce qui fonctionnait bien avant.
A côté de la complexité, il y a l’aggravation des inégalités. Certains sont plus exposés que d’autres et souvent les plus faibles. Les industries protégées et les services réussissent à maintenir leurs prix alors que celles qui sont exposées à la concurrence étrangère au contraire doivent les ajuster à la baisse. C’est une perversion car ce qu’il faudrait obtenir c’est que ceux qui sont exposés à l’étranger soient plus forts et au contraire ceux qui sont rentiers à l’intérieur s’affaiblissent. Une distorsion quasi automatique dans l’allocation des ressources s’opère.
Enfin, dernier point sur cette question des difficultés des dévaluations internes. A partir du moment où les prix et les salaires baissent relativement, cela veut dire que le poids des dettes accumulées dans le passé lui, croît relativement ; les dettes deviennent plus difficiles à supporter. Les faillites se multiplient, aussi bien au niveau des agents économiques privés que publics.
Une autre question qui est escamotée, mais qui est essentielle, est celle du chiffrage des besoins de dévaluations internes.
La question qui se pose et qui ouvre celle de l’option dévaluation interne ou dévaluation externe, est la question politique.
On la voit émerger de temps à autre, mais vite réprimée. La politique, c’est sacré, on n’y touche pas. Pas de sujet qui fâche. La démocratie européenne se limite aux consultations sur les cages d’ascenseurs comme disait un homme pourtant de gauche.
Elle est pourtant essentielle et en fait inséparable de la question économique. Elle se pose elle aussi de façon binaire, en noir et blanc, comme un pucelage, on n’est pas pucelle à moitié. C’est la question centrale de la souveraineté. Reste-t-on dans un système de démocratie nationale ou bien au contraire évolue-t-on vers une fédération supranationale.
Tel est, au fond, l’enjeu des consultations européennes, l’enjeu de pseudo-votes dont on connait déjà le résultat dans des systèmes qui n’ont de démocratiques que le nom et l’apparence
Sources : l'analyse pertinente et didactique de Bruno Bertez
http://leblogalupus.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire