Ce sale espoir, comme disait Antigone.
Grâce à cet espoir, on continue de faire confiance en la monnaie, on évite de monter trop les taux d’intérêt, puisque l’on est persuadé qu’un jour la débauche finira! L’opposition entretient le pour et le contre sans lesquels rien ne peut durer. Imaginez ce qui se passerait s’il n’y avait qu’un sens. Les marchés seraient booming, exploseraient, le risque financier contre lequel il faut, vous le savez, lutter, -dixit le dernier Jackson Hole-, le risque financier deviendrait colossal. Si l’escroc n’inspirait pas confiance, il ne pourrait escroquer, pour prendre une comparaison désobligeante.
Nous pensons que la fonction de la Bundesbank et de son patron, figure emblématique, est du même type. La Buba a prêté son crédit à la monnaie commune au moment de la formation de l’Union; si on a fait confiance à cette monnaie, c’est parce que l’on savait que la Buba était derrière, ce qui a permis des taux très bas, un change ferme.
A la faveur du crédit emprunté à la Buba, les taux ont chuté pour les pays du Sud; ils ont pu s’endetter, se surendetter, et ils ne s’en sont pas privé. Ces pays déficitaires ont bénéficié, non seulement des taux bas qu’ils ne méritaient pas, d’un change stable qu’ils n’avaient jamais osé espérer, mais aussi des facilités de Target 2, système qui permet d’accumuler les déficits et les créances sur la Bundesbank.
Avec la crise de surendettement, crise de compétitivité, crise de balance de paiements, le système européen doit évoluer. On connaît le sens de l’évolution ; ce sens, c’est l’intégration de plus en étroite au plan économique, financier, bancaire, politique et surtout social. Le FMI vient cyniquement de publier un travail sur cette question. On doit ajouter culturel. On doit faire ce qui n’a pas été fait au début, mais qui avait été envisagé sans le dire. On se reportera à l’ouvrage indispensable de Daniel Lebègue et Christian de Boissieu : « Monnaie unique européenne, système monétaire international, vers quelles ambitions », paru aux PUF en 1991.
L’escroquerie de l’euro a consisté à dire que c’était faisable, avantageux et de se placer, pour l’analyser, dans la situation finale, dans la situation d’aboutissement. C’est à dire à se placer dans la situation où tous les problèmes sont résolus, tous les déséquilibres résorbés. Dans la situation où grâce à la fluidité, grâce à la malléabilité, les Français ont cessé d’être français, les Italiens d’être italiens, les Grecs d’être grecs, etc.
Néron contemplant Rome brûler
L’ennui, c’est qu’avant d’être dans la fin de l’histoire, dans la situation finale, il faut suivre le chemin du processus! Il faut y arriver. L’état final est certes l’objectif, mais ce n’est pas un guide ; le guide, il faut l’inventer. Il faut balbutier, se tromper, tromper. Le processus a été négligé et en plus escamoté par les Maîtres. On a fait « comme si » alors que précisément « ce n’était pas comme si ».
La non convergence, la divergence réelle non prévue, mais très prévisible, a produit une crise, une accélération de l’histoire. Il a fallu en catastrophe précipiter les transitions, dévoiler ce que l’on souhaitait garder caché. Ainsi, il a fallu basculer, faire basculer la Banque Centrale, la BCE, vers un autre modèle que celui de la Buba. Il a fallu que cette Banque Centrale devienne souple, qu’elle apprenne à privilégier le court terme, le circonstanciel, l’aléatoire sur le long terme, sur le fondamental. Il lui faut faire une transition dans laquelle elle passera du stade de fille, sous tutelle bénéficiant de la réputation et du crédit de la Buba, à une situation nouvelle, amalgame hétéroclite au service du mouton à cinq pattes européen.
Il faut gérer cette transition qui fait passer d’un objectif de discipline inter-temporelle incontournable au profit du long terme, à une flexibilité court-termiste, opportuniste. Dans cette transition, il est évident que le risque, si les marchés étaient lucides, non manipulés et donc étaient de vrais marchés, le risque est que la filiation avec la Buba vole en éclats. Que les taux explosent, que le change chute.
On passerait en un rien de temps du « père avare », au « fils prodigue ». Le crédit, la confiance, la réputation empruntés à la Bundesbank, disparaîtraient, seraient soumis à dévalorisation, dépréciation; les taux monteraient. Le processus, le fameux processus qui doit conduire à l’état final serait plus qu’interrompu, il serait anéanti.
D’où la fonction systémique de la Buba et de Weidmann, ils sont là pour faire durer le crédit de la Bundesbank le plus longtemps possible, pour faciliter la transition, le fameux processus que l’on vous a dissimulé. Les interventions oppositionnelles, critiques, de la Buba, de Weidmann, ont pour fonction systémique objective, peu importe le subjectif, ont pour fonction de freiner la dégradation, la prise de conscience de la mutation. Elles entretiennent l’espoir, le fameux, le triste espoir. Leurs interventions servent à installer ce contre quoi ils font semblants de lutter: l’ordre nouveau européen, la BCE nouvelle, celle des Maîtres. Celle qui renie le « traditionnal Central Banking ».
On a fait la monnaie unique à crédit, celui de la Buba et la Buba accepte de prêter la main à la dépréciation de ce crédit, de cette dette; on retrouve, en concentré, tout le processus de gestion malhonnête, injuste, trompeur de la crise. Nous l’avons signalé un jour: « On peut toujours prolonger les dérives, il suffit d’accepter de dévaloriser son capital de réputation ». C’est vrai pour les firmes, pour les pays, pour les Banques Centrales, pour les individus.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire